Acide acétylsalicylique à faible dose en prévention de la pré-éclampsie

Chez les femmes enceintes avec un risque élevé de pré-éclampsie, l'administration d'une faible dose d'acide acétylsalicylique (60 à 100 mg par jour) à partir de la fin du premier trimestre de la grossesse diminue de manière modeste le risque de pré-éclampsie, de retard de croissance intra-utérine et d'accouchement prématuré mais pas la mortalité périnatale. Il est toutefois difficile dans la pratique d'identifier les femmes qui présentent un risque élevé de pré-éclampsie.

La pré-éclampsie se caractérise par l’apparition d’une hypertension artérielle (> 140/90 mmHg) et d’une protéinurie (> 0,3g/24h) au-delà de 20 semaines de grossesse chez une femme auparavant normotensive. La pré-éclampsie représente une cause importante de morbidité et de mortalité périnatale, d'où l'intérêt pour sa prévention. L'étiologie de la pré-éclampsie n'est pas bien connue, et les études sur l'effet préventif de l'acide acétylsalicylique sur le risque de pré-éclampsie ont donné des résultats parfois contradictoires. La Preventive Services Task Force aux Etats-Unis (USPSTF) a réévalué récemment les données disponibles concernant l’efficacité et l’innocuité de l’acide acétylsalicylique en prévention de la pré-éclampsie chez les femmes avec un risque élevé de pré-éclampsie. Dans la méta-analyse, le risque élevé de pré-éclampsie était défini par la présence d'au moins un des facteurs de risque suivants: antécédent de pré-éclampsie, hypertension chronique, diabète, affection rénale, maladie auto-immune, grossesse multiple.1

Il ressort de cette méta-analyse d'études randomisées que l’administration d’une dose d’acide acétylsalicylique de 60 à 100 mg/jour au-delà de 12 semaines de grossesse chez des femmes à risque élevé, entraîne une diminution statistiquement significative du taux de pré-éclampsie (Risque Relatif ou RR 0,76; intervalle de confiance ou IC à 95% 0,62 à 0,95), de retard de croissance intra-utérine (RR 0,80; IC à 95% 0,65 à 0,99) et d’accouchement prématuré (RR 0,86; IC à 95% 0,76 à 0,98), mais pas de la mortalité périnatale. Le bénéfice en chiffres absolus est toutefois modeste: le Number Needed to Treat (NNT) était de 42 pour éviter 1 cas de pré-éclampsie, de 71 pour éviter 1 cas supplémentaire de retard de croissance intra-utérin, et de 65 pour éviter 1 cas supplémentaire d'accouchement prématuré. Les résultats de cette méta-analyse n'ont pas montré, lors de l'utilisation d’une faible dose d’acide acétylsalicylique, de risque accru de complications telles que décollement placentaire, hémorragie du postpartum ou hémorragie chez le nouveau-né.

Les résultats de cette méta-analyse rejoignent les recommandations entre autres de l’Organisation Mondiale de la Santé, du National Institute for Health and Clinical Excellence (NICE) et de l’American College of Obstetricians and Gynecologists.

- Chez les femmes avec un risque élevé de pré-éclampsie (c.-à-d. avec antécédent de pré-éclampsie, hypertension chronique, diabète, affection rénale, maladie auto-immune ou en cas de grossesse multiple), il est recommandé d’administrer une faible dose d’acide acétylsalicylique (60 à 100 mg par jour) à partir de la fin du premier trimestre de la grossesse.

- Chez les femmes avec un risque modéré de pré-éclampsie (c-à-d. avec plusieurs facteurs de risque moins graves tels que première grossesse, âge ≥ 40 ans, intervalle entre les grossesses > 10 ans, BMI ≥ 35, antécédents familiaux de pré-éclampsie), une même approche préventive est parfois proposée mais le bénéfice clinique est encore plus faible que chez les femmes avec un risque élevé.

- Chez les femmes avec un faible risque de pré-éclampsie, la prise d'acide acétylsalicylique n'est pas recommandée.

 

Commentaire du CBIP

Les facteurs de risque de pré-éclampsie n'ont pas tous été bien évalués, et il reste difficile en pratique de définir quelles sont les patientes qui pourront tirer un bénéfice d'une faible dose d'acide acétylsalicylique. En pratique, on se base principalement sur les antécédents de pré-éclampsie, mais il convient aussi de prendre en compte d'autres facteurs tels que hypertension artérielle, grossesse multiple, maladie rénale….Dans le Répertoire Commenté des Médicaments, il est mentionné que l'acide acétylsalicylique est à déconseiller pendant la grossesse, entre autres en raison de la suspicion d'un effet tératogène pendant le premier trimestre de la grossesse et du risque d'hémorragies chez la mère, le fœtus et le nouveau-né en cas de prise d'acide acétylsalicylique pendant le troisième trimestre de la grossesse. Avec les faibles doses d'acide acétylsalicylique telles que celles utilisées dans la prévention de la pré-éclampsie, il n'existe pas d'indices d'un risque accru d'hémorragie pendant l'accouchement. Par mesure de précaution, il est toutefois recommandé d'interrompre la prise d'acide acétylsalicylique 5 à 10 jours avant la date prévue de l'accouchement.

 

1 Ann Intern Med. 2014; 161: 819-26 (doi: 10.7326/M14-1884)