Bon à savoir
Menace d'arrêt de commercialisation de la seule spécialité à base de warfarine (Marevan®) en Belgique écartée

Ce texte a été modifié 27/02/19 car Marevan® reste disponible en Belgique.

Pendant un certain temps, il semblait que la commercialisation de la seule spécialité à base de warfarine en Belgique (Marevan®), prendrait fin à partir de mars 2019. Après des négociations fructueuses entre l’AFMPS, l’INAMI et le fabricant, ce dernier a décidé de maintenir le médicament sur le marché.  Bien que le problème du passage de la warfarine à d’autres anticoagulants ne soit plus aussi urgent, le contenu de l’article ci-dessous, déjà largement publié dans des messages "Bon à savoir" antérieurs sur notre site Web, reste pertinent et nous souhaitons toujours le publier.
La warfarine est l’antagoniste de la vitamine K le mieux documenté et le plus utilisé dans le monde.
La substitution de la warfarine par l’un des autres antagonistes de la vitamine K disponibles, à savoir l’acénocoumarol (Sintrom®) ou la phenprocoumone (Marcoumar®) n’est pas simple, notamment en raison des différences importantes de demi-vie; cette substitution n’est documentée par aucune directive ni schéma bien étayé. En concertation avec des experts des différentes université belges, le CBIP propose dans cet article des schémas de substitution concrets.
Chez la plupart des patients, les antagonistes de la vitamine K restent un premier choix lorsqu’un traitement anticoagulant est indiqué. Chez les patients porteurs de prothèses valvulaire mécaniques et chez les patients avec une sténose de la valve mitrale modérée à sévère, les antagonistes de la vitamine K restent même la seule option. Les nouveaux anticoagulants oraux directs constituent, pour un certain nombre d’indications, une alternative aussi efficace mais plus coûteuse. Leur profil d’innocuité à long terme n’est pas encore connu, et ils ne sont pas indiqués chez les patients porteurs de prothèses valvulaires mécaniques.

Le fabricant de la seule spécialité à base de warfarine en Belgique (Marevan®) a fait part de son intention d’en arrêter la commercialisation, pour des raisons qui ne sont pas claires, dès le 1er mars 2019. Le CBIP déplore cette décision qui menace de faire disparaître du marché belge la seule spécialité à base de warfarine.
La warfarine est l’antagoniste de la vitamine K le mieux documenté et est utilisé dans la prévention et le traitement des maladies thromboemboliques (chez les patients atteints de fibrillation auriculaire, porteurs de prothèses valvulaires et présentant une thromboembolie veineuse). La Revue Prescrire1 et la directive de Domus Medica concernant le traitement anticoagulant oral (“Orale anticoagulatietherapie”)2 préconisent également la warfarine comme premier choix parmi les antagonistes de la vitamine K, et l’algorithme de la directive a été entièrement défini en fonction de la warfarine. La warfarine est l’antagoniste de la vitamine K le plus couramment utilisé dans le monde. Il s’agit d’un médicament bon marché qui, malgré un index thérapeutique étroit, de nombreuses interactions potentielles et la nécessité d’un contrôle régulier de l’INR, est utilisé efficacement et avec grande satisfaction par de nombreux patients. Ce ne sera pas facile de substituer la warfarine par un autre anticoagulant chez ces patients.
Le CBIP et plusieurs groupes de médecins demandent donc avec insistance que la disponibilité de la warfarine en Belgique continue à être garantie au-delà du 1er mars 2019. Des spécialités à base de warfarine restent notamment disponibles en France, en Espagne et au Royaume-Uni.
Après des négociations fructueuses entre l’AFMPS, l’INAMI et le fabricant, ce dernier a décidé de maintenir le médicament sur le marché.
Des mises en garde provenant d’Australie, où sont disponibles diverses spécialités à base de warfarine, signalent d’ailleurs que même le fait de passer d’une de ces spécialités à une autre peut déstabiliser l’INR.3

Substitution de la warfarine par un autre antagoniste de la vitamine K

Au cas où la warfarine disparaîtrait, deux autres antagonistes de la vitamine K restent disponibles en Belgique: l’acénocoumarol (Sintrom® 1 mg, pas sécable, et Sintrom® 4 mg, sécable en 4) et la phenprocoumone (Marcoumar® 3 mg, sécable en 4). La demi-vie de la warfarine est de 40 heures en moyenne. L’acénocoumarol ayant une demi-vie plus courte (8 h), les différences de dose (suite à un ajustement selon l’INR, mais aussi lorsque la dose est prise trop tard ou oubliée) se font rapidement ressentir et les fluctuations de l’INR sont souvent plus importantes qu’avec les antagonistes de la vitamine K à plus longue durée action. La phenprocoumone, quant à elle, a une demi-vie bien plus longue (140-160 h), ce qui induit généralement moins de fluctuations de l’INR, mais également une réaction plus lente aux ajustements de dose. Il n’est pas possible d’émettre une recommandation scientifiquement fondée en ce qui concerne le choix entre l’acénocoumarol et la phenprocoumone. La substitution de la warfarine par un autre antagoniste de la vitamine K n’a fait l’objet d’aucune directive bien étayée. À partir d’une étude néerlandaise de petite taille4, des facteurs de transition sont toutefois proposés pour obtenir des doses d’entretien stables avec les différents antagonistes de la vitamine K. Pour la substitution de la warfarine par la phenprocoumone, un facteur de transition de 0,41 a été calculé ; pour la substitution de la warfarine par l’acénocoumarol, un facteur de transition de 0,53 a été calculé.

Dans cette étude4 37 patients avec une nouvelle indication pour un traitement anticoagulant oral ont initié leur traitement avec de la warfarine, puis sont passés, après 6 mois, à la phenprocoumone, et 83 patients qui recevaient déjà un traitement par acénocoumarol ont été randomisés entre un passage à la phenprocoumone ou à la warfarine; après 6 mois, les patients sous warfarine passaient à un traitement par phenprocoumone (ou de nouveau par acénocoumarol à la demande explicite du patient). Le protocole de l’étude ne décrit pas clairement comment la substitution d’un antagoniste de la vitamine K par un autre a été réalisée dans la pratique.
La dose d’entretien stable était déterminée à partir de la moyenne des doses ayant induit trois valeurs INR consécutives dans la zone thérapeutique (à minimum 1 semaine d’intervalle et après une période de wash-out de 4 semaines). À partir de ces doses d’entretien stables, des facteurs de transition ont été calculés pour passer d’un antagoniste de la vitamine K à un autre.
Pour la substitution de la warfarine par la phenprocoumone, un facteur de transition de 0,41 a été calculé sur base de 58 substitutions [IC à 95% 0,39-0,43] (c’est-à-dire que la nouvelle dose d’entretien de phenprocoumone en mg = 0,41 * la dose d’entretien précédente de warfarine en mg). Pour la substitution de la warfarine par l’acénocoumarol, un facteur de transition de 0,53 a été calculé sur base de 21 substitutions [IC à 95% 0,50-0,56]] (c’est-à-dire que la nouvelle dose d’entretien d’acénocoumarol en mg = 0,53 * la dose d’entretien précédente de warfarine en mg).

La substitution devra se faire moyennant un contrôle rigoureux de l’INR (tous les 3 à 4 jours). Cela provoquera inévitablement des problèmes et des erreurs ne manqueront pas d’être faites.

En s’appuyant sur les facteurs de transition ci-dessus, la Federatie van Nederlandse Trombosediensten a rédigé un outil (ne pouvant pas être considéré comme une directive à défaut de données provenant d’études cliniques)5 d’aide à la substitution entre différents antagonistes de la vitamine K. Aucun schéma concret n’est proposé pour la substitution de la warfarine par d’autres antagonistes de la vitamine K là-dedans, la warfarine n’étant pas enregistrée aux Pays-Bas. Compte tenu de la demi-vie des différents antagonistes de la vitamine K, et après consultation d’experts de différentes universités belges, nous arrivons aux schémas ci-dessous pour la substitution de la warfarine par la phenprocoumone ou l’acénocoumarol. Ceux-ci sont basés uniquement sur l’opinion d’experts.

Substitution de la warfarine par la phenprocoumone (Marcoumar®)

- Déterminez l’INR le jour avant la substitution et calculez la dose d’entretien attendue de la phenprocoumone, de préférence sur une base hebdomadaire (pour arriver ainsi à un schéma hebdomadaire évitant l’administration de quarts de comprimés de phenprocoumone).
- La plupart des experts que nous avons consultés recommandent l’utilisation d’une dose de charge de phenprocoumone pendant les deux premiers jours de substitution.
- Ce schéma peut être adapté en fonction de la valeur de l’INR avant la substitution et le risque de profil individuel de thrombo-embolie et pour des complications hémorragiques chez le patient. En cas d’INR élevé avant la substitution et/ou un risque hémorragique élevé, la dose de charge peut être diminuée ou même omise. En cas de faible INR avant la substitution et/ou un risque élevé de thrombose, la dose de charge est certainement recommandée.
- Il est préférable d’effectuer un premier contrôle d’INR le jour 3 ou le jour 4. A partir de ce moment-là, la dose de phenprocoumone peut être ajustée en fonction de l’INR; tenez compte de la longue demi-vie de la phenprocoumone et donc d’une réaction plus lente aux ajustements posologiques.

Substitution de la warfarine par l’acénocoumarol (Sintrom®)

- Déterminez l’INR le jour avant la substitution et calculez la dose d’entretien attendue d’acénocoumarol, éventuellement sur une base hebdomadaire.
- Pendant les 2 premiers jours, l’acénocoumarol est administrée à la moitié de la dose calculée.
- Ce schéma peut être adapté en fonction de la valeur de l’INR avant la substitution et du risque de profil individuel de thrombo-embolie et de complications hémorragiques chez le patient. En cas d’INR élevé avant la substitution et/ou d’un risque hémorragique élevé, la dose d’acénocoumarol peut être augmentée plus lentement.
- Il est préférable d’effectuer un premier contrôle de l’INR au jour 3. A partir de ce moment-là, la dose d’acénocoumarol peut être ajustée en fonction de l’INR ; tenez compte de la courte demi-vie de la phenprocoumone et donc d’une réaction plus rapide aux ajustements posologiques.

Utilisation temporaire d’héparines de bas poids moléculaire : à éviter

L’utilisation temporaire d’héparines de bas poids moléculaire (HBPM) pendant quelques jours est considérée comme une option en cas de risque élevé de thrombose5, mais selon les experts que nous avons consultés, elle doit être évitée autant que possible. Ce n’est que chez les patients présentant un risque de thrombose fortement accru chez lesquels une indication stricte d’anticoagulation orale est donc indiquée, que l’on peut avoir recours aux HBPM pendant quelques jours en cas d’INR sous-thérapeutique documenté, et ce jusqu’à ce que l’INR se situe de nouveau dans la marge thérapeutique.

Substitution de la warfarine par un AOD

Pour de nombreuses indications (traitement de la TVP, prévention thromboembolique dans la FA), les anticoagulants oraux directs (AOD) constituent une alternative aussi efficace et sûre (du moins à court et moyen terme) mais plus coûteuse (tant pour le patient que pour l’assurance maladie). Chez les patients sous traitement anticoagulant en raison d’une prothèse valvulaire mécanique, les AOD sont toutefois contre-indiqués. Chez les patients sous traitement anticoagulant er raison d’une sténose mitrale modérée à sévère, il n’y a pas d’études avec les AOD. Pour ces deux groupes de patients, les antagonistes de la vitamine K restent la seule option. On ne connaît pas encore le profil d’innocuité des AOD à long terme, leur effet sur la coagulation ne peut pas être contrôlé par les tests de laboratoire classiques, et certains de ces médicaments n’ont pas d’antidote. C’est pourquoi, chez les patients qui débutent un nouveau traitement anticoagulant, les antagonistes de la vitamine K restent un bon premier choix dans la majorité des cas (voir les Folia de janvier 2017). Le CBIP estime qu’il n’y a pas suffisamment d’arguments pour passer à un AOD chez les patients stables sous antagoniste de la vitamine K.
Si l’on décide néanmoins de passer à un AOD, on arrête la warfarine et on initie l’AOD dès que l’INR est inférieur à 2,05,6, bien que les RCP de l’édoxaban (2,5) et du rivaroxaban (3,0) mentionnent des valeurs d’INR plus élevées.

Substitution de warfarine (Marevan®) par d’autres anticoagulants oraux

A. Substitution de warfarine (Marevan®) par d’autres anticoagulants oraux*

A.1. Substitution de warfarine (Marevan®) par phenprocoumone (Marcoumar®)​

Calculez la dose d’entretien probable de phenprocoumone en mg
(= dose d’entretien de warfarine en mg x 0,4)

Jour 0: Dernière dose de warfarine
 
 
 
 

Détermination de l’INR

Jour 1:
Phenprocoumone: double** de la dose d’entretien calculée
 
+

 ARRÊTEZ la warfarine

Jour 2:
Phenprocoumone: double ** de la dose d’entretien calculée

Jour 3:
Phenprocoumone: dose d’entretien calculée
 
 
 

 Détermination de l’INR

Jour 4:
Phenprocoumone: dose d’entretien calculée
 
 

adaptation de la dose en fonction de l’INR

A.2. Substitution de warfarine (Marevan®) par acénocoumarol (Sintrom®)​

Calculez la dose d’entretien probable d’acénocoumarol en mg
(= dose d’entretien de warfarine en mg x 0,5)

Jour 0: Dernière dose de warfarine
 
 
 
 

Détermination de l’INR

Jour 1:
Acénocoumarol:
la moitié*** de la dose d’entretien calculée
 
+

 ARRÊTEZ  la  warfarine

Jour 2: 
Acénocoumarol:
la moitié*** de la dose d’entretien calculée

Jour 3:
Acénocoumarol: dose d’entretien calculée
 
 
 

 Détermination de l’INR

Jour 4:
Acénocoumarol: dose d’entretien calculée
  
 

adaptation de la dose en fonction de l’INR

B. Substitution de la warfarine (Marevan®) par un AOD ( Eliquis®, Lixiana®, Pradaxa®, Xarelto®)​

ARRÊTEZ la warfarine et déterminez l’INR chaque jour jusqu’à INR < 2,0
COMMENCEZ avec l’AOD si INR < 2,0

* Bridging HBPM (l’utilisation temporaire d’héparines de bas poids moléculaire) à éviter: à n’envisager que dans des cas exceptionnels chez des patients avec un risque de thrombose très élevé et un INR sous-thérapeutique.
** Ce conseil posologique doit ensuite être adaptée à un INR récent et au profil de risque individuel de thrombo-embolie et de complications hémorragiques de chaque patient:
- En cas d’INR initial élevé et/ou risque hémorragique élevé (p.ex. antécédents d’hémorragie): envisager une dose de charge plus faible ou nulle, ou seulement une dose de charge le jour 1
- En cas d’INR initial faible et/ou risque élevé de thrombose (p.ex. prothèses valvulaires cardiaques): une dose de charge le jour 1 et le jour 2 est certainement recommandée.
*** Ce conseil posologique doit ensuite être adapté à un INR récent et au profil de risque individuel de thrombo-embolie et de complications hémorragiques de chaque patient:
- En cas d’INR élevé et/ou risque hémorragique élevé (p.ex. antécédents d’hémorragie) : envisager d’augmenter plus lentement l’acénocoumarol.

 Sources spécifiques

1 Prescrire Redaction. Choisir la warfarine! Rev Prescrire 2013; 33: 197.
Domus Medica. Orale anticoagulatietherapie voor de huisarts. Aanbeveling voor goede medische praktijkvoering, 2010. Sur: https://domusmedica.be/richtlijnen/orale-anticoagulatietherapie​
Graudins L, Chen F, Hopper I, Tideman PA, Trimaco R et al. Warfarin brands. Aust Prescr. 2015; 38: 150-51. doi: 10.18773/austprescr.2015.062
van Leeuwen Y, Rosendaal FR, van der Meer FJM. The relationship between maintenance dosages of three vitamin K antagonists: acenocoumarol, warfarin and phenprocoumon. Thromb Res. 2008; 123: 225-30. doi: 10.1016/j.thromres.2008.01.020

5 Federatie van Nederlandse Trombosediensten. Omschakelen van de ene vitamine K-antagonist naar de andere. In: De kunst van het doseren. Richtlijn, leidraad en informatie voor het doseren van vitamine K-antagonist. Version de décembre 2018; p. 148-155. Sur: https://www.fnt.nl/kwaliteit/de-kunst-van-het-doseren
6 The 2018 European Heart Rhythm Association Practical Guide on the use of non-vitamin K antagonist oral anticoagulants in patients with atrial fibrillation. Sur: https://www.escardio.org/Guidelines/Recommended-Reading/Heart-Rhythm/Novel-Oral-Anticoagulants-for-Atrial-Fibrillation.