Prise en charge de la fibromyalgie

Résumé
La fibromyalgie se caractérise par des douleurs chroniques diffuses situées tant au-dessus qu’en dessous de la ceinture, en association à des symptômes tels que fatigue, troubles du sommeil ou de l’humeur. Il n’y a pas d’inflammation ni d’anomalies au niveau du tissu musculaire. La reconnaissance de la fibromyalgie comme pathologie et l’utilité du diagnostic font l’objet de discussions. Des mesures non médicamenteuses (éducation, thérapie comportementale, activité physique) sont essentielles. Quelques médicaments ont été étudiés, mais pour aucun d’entre eux, la fibromyalgie ne figure comme indication dans le Résumé des Caractéristiques du Produit (RCP). Les preuves avec n’importe quel médicament sont faibles et l’effet est en moyenne faible à modéré. Des données avec l’amitriptyline, la duloxétine et la prégabaline suggèrent un effet antalgique modéré à substantiel chez une minorité de patients traités, mais la majorité des patients n’en tirera aucun bénéfice.

La “fibromyalgie” se définit par la présence de douleurs chroniques diffuses situées tant au-dessus qu’en dessous de la ceinture, en association à un ou plusieurs des symptômes suivants: sensibilité accrue à la douleur de pression (présence de points sensibles appelés tender points), fatigue prononcée, troubles du sommeil, troubles de l’humeur, troubles cognitifs. La cause de la fibromyalgie n’est pas connue. On ne constate pas d’anomalies structurelles ou fonctionnelles au niveau du tissu musculaire, et il n’y a pas d’inflammation. On suppose plutôt que la cause soit une perception anormale de la douleur au niveau du système nerveux central; des facteurs sociaux et psychologiques et des facteurs liés à l’environnement jouent également un rôle dans l’apparition et la persistance de la fibromyalgie.

La reconnaissance de la « fibromyalgie » comme pathologie fait encore l’objet de nombreux débats, et l’utilité du diagnostic ne fait pas non plus l’unanimité: d’après certains, le diagnostic est un exemple de surmédicalisation, selon d’autres, il permet de rassurer un peu le patient, d’éviter des examens inutiles, et de tenter une prise en charge des symptômes. Le diagnostic repose provisoirement simplement sur des critères cliniques (les douleurs et leurs localisations, présence et sévérité de la fatigue, troubles du sommeil, problèmes de mémoire, céphalées, côlon irritable, troubles de l’humeur), après exclusion d’autres maladies (auto-immunes p. ex.); l’imagerie médicale ou l’examen sanguin ne révèlent pas d’anomalies spécifiques.

Tant des traitements non médicamenteux que médicamenteux sont proposés1.

Mesures non médicamenteuses

Les mesures non médicamenteuses consistent entre autres à expliquer la nature et l’évolution de la maladie, l’importance des adaptations du style de vie, et le bénéfice que l’on peut attendre des mesures non médicamenteuses et médicamenteuses. Les adaptations du style de vie sont entre autres la réduction du stress et l’amélioration des habitudes de sommeil, une thérapie comportementale (surtout la thérapie cognitivo-comportementale) et l’activité physique (surtout des exercices en aérobie). Ces mesures sont peu étayées, mais toutes les sources sont néanmoins unanimes en ce qui concerne la place importante de ces mesures dans la prise en charge des patients atteints de fibromyalgie, avec un effet surtout sur les aspects fonctionnels.

Prise en charge médicamenteuse

- La “fibromyalgie” ne figure pour aucun médicament comme indication dans le Résumé des Caractéristiques du Produit (RCP, situation au 01/08/16). Pour la duloxétine (antidépresseur, inhibiteur de la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline), la prégabaline (antiépileptique) et le milnacipran (inhibiteur de la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline qui n’est pas disponible en Belgique), les firmes responsables ont introduit il y a quelques années une demande pour l’indication « fibromyalgie », mais celle-ci a été refusée par l’Agence Européenne des Médicaments (EMA) qui a conclu que l’efficacité n’était pas suffisamment prouvée.2

- La plupart des études traitant des médicaments utilisés dans la fibromyalgie sont de courte durée (6 mois maximum). Etant donné les nombreux critères d’exclusion dans ces études, la possibilité d’extrapolation aux patients dans la pratique quotidienne est limitée. L’effet obtenu sur les douleurs et la qualité de vie est minime à modéré, et son impact clinique est douteux chez la plupart des patients. Quelques détails sont donnés ci-dessous au sujet des médicaments proposés dans la fibromyalgie. Lorsqu’ils sont disponibles, les résultats d’une Cochrane Review sont mentionnés.

  • Analgésiques

    • Le paracétamol n’a pas été étudié dans la fibromyalgie.

    • Certains AINS ont été étudiés dans quelques études de petite taille mais ils ne se sont pas avérés plus efficaces que le placebo.

    • Les données concernant le tramadol (une étude à petite échelle, en combinaison avec le paracétamol) sont trop limitées pour pouvoir se prononcer à ce sujet et recommander le tramadol dans cette indication. D’autres opioïdes (anciennement appelés analgésiques morphiniques) ne sont pas non plus à conseiller. L’effet des opioïdes n’est pas suffisamment étayé et ils sont associés à des effets indésirables (entre autres de la dépendance). De plus, certaines données indiquent que les opioïdes sont susceptibles d’aggraver les douleurs liées à la fibromyalgie. [Concernant l’utilisation des opioïdes dans les douleurs chroniques non cancéreuses, voir ailleurs dans ce numéro]

  • Antidépresseurs

    • Pour l’amitriptyline (25 à 50 mg p.j. dans des études de 6 à 24 semaines), une Cochrane Review révèle une diminution des douleurs d’au moins 30 % chez 36 % (entre 22 % et 60 %) des patients traités par l’amitriptyline par rapport à 12 % (entre 2 % et 19 %) des patients sous placebo3. Ceci correspond à un Number Needed to Treat (NTT) d’environ 4; ce qui signifie qu’environ 4 patients devaient être traités pour obtenir un soulagement des douleurs d’au moins 30 % chez 1 patient supplémentaire, par rapport au placebo.

    • Pour la duloxétine (60 mg p.j. dans des études de 12 semaines maximum), une Cochrane Review relève un NNT de 8 (IC à 95 % 4 à 21) pour le critère d’évaluation « soulagement des douleurs d’au moins 50 % » (ceci signifie que 8 patients devaient être traités pour obtenir un soulagement des douleurs d’au moins 50 % chez 1 patient supplémentaire, par rapport au placebo), et un NNT de 6 (IC à 95 % 3 à 12) pour le critère d’évaluation « soulagement des douleurs d’au moins 30% ». 4

    • Des ISRS ont été étudiés, mais les données ne sont pas suffisantes pour pouvoir se prononcer.

  • Antiépileptiques5 6

    • Pour la prégabaline (300, 450 ou 600 mg p.j., la plupart des études de 6 semaines), une Cochrane Review revèle les meilleurs résultats avec la dose de 450 mg p.j.: le NNT était de 9,8 (IC à 95 % 7,0 à 16) pour le critère d’évaluation « soulagement des douleurs d’au moins 50 % », et de 6,6 (IC à 95 % 5,0 à 9,8) pour le critère d’évaluation « soulagement des douleurs d’au moins 30 % ».

    • Pour la gabapentine, les preuves disponibles (une seule étude) sont trop limitées pour pouvoir se prononcer.

Dans une méta-analyse en réseau publiée dans les Annals of the Rheumatic Diseases, si on ne tient compte que des études incluant au moins 100 patients, un effet statistiquement significatif sur les douleurs et la qualité de vie n’a été constaté qu’avec la duloxétine et la prégabaline; celui-ci a cependant été considéré comme faible et sans impact clinique.

Conclusion

Les preuves étayant l’effet des médicaments proposés dans la fibromyalgie sont faibles. Pour l’amitriptyline, la duloxétine et la prégabaline, il existe toutefois quelques preuves d’un effet positif sur les douleurs chez un nombre limité de patients: une minorité voit les douleurs diminuer de façon modérée (de 30 % à 50 %) à substantielle (d’au moins 50 %). Lorsque les douleurs sont réduites d’au moins 30 %,on peut toutefois s’attendre à un impact positif sur la qualité de vie et sur le fonctionnement. L’effet doit être mis en balance avec les effets indésirables et les interactions possibles (voir à ce sujet le Répertoire Commenté des Médicaments). A l’heure actuelle, l’approche non médicamenteuse reste à privilégier.

 

1 BMJ 2014;348:g1224 (doi:10.1136/bmj.g1224) ; JAMA 2014;311:1547-55 (doi:10.1001/jama.2014.3266) ; Ann Rheum Dis 2013;72:955-62 (doi:10.1136/annrheumdis-2011-201249) ; La Revue Prescrire 2008 ;28 :763-8 ; Ann Rheum Dis 2016 publication online 04/07/16 (doi:10.1136/annrheumdis-2016-209724)

2 www.ema.europa.eu, cliquer sur “Search document library”, termes de recherche: “EMEA/590296/2008” (pour la duloxétine), “EMA/814249/2009” (pour le milnacipran), “EMEA/464033/2009” (pour la prégabaline)

3 Cochrane Database of Systematic Reviews 2012, Issue 12. Art. No.: CD008242 (doi:10.1002/14651858.CD008242.pub2)

4 Cochrane Database of Systematic Reviews 2014, Issue 1. Art. No.: CD007115 (doi:10.1002/14651858.CD007115.pub3)

5 Cochrane Database of Systematic Reviews 2014, Issue 4. Art. No.: CD007938 (doi:10.1002/14651858.CD007938.pub3)

6 Cochrane Database of Systematic Reviews 2013, Issue 11. Art. No.: CD010567 (doi:10.1002/14651858.CD010567.pub2)