AINS: néphrotoxicité chez de jeunes adultes en bonne santé

Il ressort d’une étude de cohorte que l'utilisation de fortes doses d'anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) chez des jeunes adultes en bonne santé est associée à un risque légèrement accru d’atteinte rénale. Un lien est évoqué avec des efforts physiques intenses et une possible hydratation insuffisante. Il s'agit d'une information importante à donner aux personnes sportives ou aux personnes exerçant des activités physiques intenses en cas d’utilisation d’AINS à fortes doses.

Une étude de cohorte longitudinale rétrospective menée aux États-Unis, auprès de militaires (Journal of the American Medical Association, février 2019) a cherché à savoir s'il existait un lien entre le nombre de prescriptions d'AINS fournies et l'incidence de lésions rénales aiguës et de maladies rénales chroniques. Les AINS les plus fréquemment prescrits étaient l'ibuprofène (3 x 800 mg) et le naproxène (2 x 500 mg).

Étude menée auprès de 764.228 militaires (âge moyen 27 ans ; 85,8% d'hommes) aux États-Unis, enregistrement à partir de janvier 2011 jusqu'à fin 2018. Les doses prescrites pendant la période des 6 mois précédents ont été standardisées selon la définition de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) : en doses quotidiennes standard (defined daily doses ou DDD). 16% de la population étudiée s'est vu prescrire plus de 42 DDDs sur la période des 6 derniers mois, 18% moins de 42 doses quotidiennes standard et 66% aucune. En général, l'ibuprofène (la dose quotidienne standard de l'OMS est de 1,2 g) ou le naproxène (la dose quotidienne standard de l'OMS est de 500 mg) étaient prescrits. Parmi les 804.471 prescriptions d'ibuprofène, 78% concernaient des doses de 800 mg; dans 88 % de ces cas, la prescription mentionnait que la dose devait être prise jusqu'à 3 fois (ou plus) par jour. Parmi les 376.078 prescriptions de naproxène, 96% concernaient des unités de prise de 500 mg ou plus; dans 94% des cas, la prescription mentionnait qu’elles devaient être prises 2 fois par jour (ou plus).

Au cours de la période de recherche, 3 militaires sur 1.000 ont eu une insuffisance rénale aiguë, 2 sur 1.000 une maladie rénale chronique. On a comparé le groupe qui n'avait pas reçu de prescription d'AINS avec le groupe qui en avait reçu. Par rapport au groupe de personnes sans prescription, le rapport de hasards pour l'insuffisance rénale aiguë était de 1,2 (IC à 95 % 1,1-1,4), et pour la maladie rénale chronique également de 1,2 (IC à 95 % 1,0-1,3), chez les patients qui avaient reçu des prescriptions d'AINS à fortes doses. En d'autres termes, sur cette période, le risque de développer des troubles rénaux était jusqu'à 20% plus élevé dans le groupe auquel on avait prescrit de fortes doses d'AINS.
 
Les auteurs de l'étude présument que cela pourrait être dû au fait que les militaires doivent effectuer des exercices physiques intenses, provoquant une déshydratation lors d'entraînements en zones chaudes.

Conclusion du CBIP​
La plupart des études évaluant la néphrotoxicité des AINS sont réalisées chez des personnes âgées ou ayant un trouble rénal préexistant; cette étude a été menée chez de jeunes adultes en bonne santé. Cette étude présente deux limites:

  1. Des prescriptions d'AINS (et la posologie qui a été mentionnée sur ces prescriptions) sont utilisées pour calculer la prise d'AINS : ce qui est prescrit ne reflète pas toujours la consommation réelle.

  2. La population étudiée (militaires) ne peut être extrapolée à l'ensemble de la population en général.

Bien qu'une étude de cohorte n'ait pas le même niveau de preuve qu'une étude randomisée, cette étude suggère qu'il faut être prudent lors de l'utilisation d'AINS à fortes doses chez des adultes en bonne santé, en particulier chez les personnes sportives ou les personnes exerçant des professions avec activités physiques intenses, lors d’efforts intenses avec hydratation éventuellement insuffisante. Bien que des recherches supplémentaires soient nécessaires pour confirmer ce lien, il est prudent de signaler ce risque, en tant que médecin ou pharmacien, par exemple aux personnes qui prendraient des AINS pour ne pas ressentir de douleurs lors de la pratique d’un sport ou lors d’un travail dans des conditions chaudes. D'une part, une bonne hydratation est essentielle. D'autre part, il convient de discuter d’abord d'autres options thérapeutiques, orientées vers la cause des douleurs.


Sources

1 La Revue Prescrire. AINS: néphrotoxicité chez des adultes jeunes en bonne santé. Aôut 2019 ; 39 (430)
2 Nelson D.A. et al. Association of nonsteroidal anti-inflammatory drug prescriptions with kidney disease among active young and middle-aged adults. JAMA Network Open. 2019; 2(2): e187896. DOI: 10.1001/jamanetworkopen.2018.7896