Traitement antithrombotique: quelques publications récentes


Abstract

Les indications et les problèmes pratiques des antithrombotiques ont déjà fait l’objet à deux reprises d’un numéro thématique dans les Folia [voir Folia de février 2004 et de janvier 2008]. Le présent article propose une mise à jour de certains sujets relatifs au traitement antithrombotique sur base de publications récentes.


Prévention primaire des thrombo-embolies veineuses profondes

La place de la prévention primaire des thrombo-embolies veineuses profondes est bien établie [pour les indications, voir Folia de février 2004 et de janvier 2008 ].

Il ressort d’une étude d’observation réalisée aux Etats-Unis que la plupart des cas de thrombo-embolie veineuse (73,7%) ont été diagnostiqués en pratique ambulatoire, et que parmi ceux-ci, la moitié au moins des patients avaient été hospitalisés ou avaient subi une intervention chirurgicale dans les 3 mois précédents. Les auteurs concluent qu’un certain nombre de patients avec des facteurs de risque thrombo-embolique n’ont pas reçu de traitement prophylactique, ou pas suffisamment longtemps, et que l’incidence des thrombo-embolies en pratique ambulatoire pourrait être diminuée par une meilleure prévention thrombo-embolique en milieu hospitalier. Cependant, vu la diminution des durées d’hospitalisation, il convient de veiller à ce que le traitement prophylactique chez les patients à risque soit aussi correctement poursuivi après l’hospitalisation [ Arch Intern Med 2007; 167: 1471-5 , avec un éditorial : 1451-2 ].

Par ailleurs, il ressort d’une étude cas-témoins que des traumatismes mineurs (p. ex. ruptures musculaires ou ligamentaires), notamment au niveau des membres inférieurs, sont également associés à un risque accru de thrombose veineuse [odds ratio 5,1; intervalle de confiance à 95% 3,9 à 6,7] [ Arch Intern Med 2008; 168: 21-6 ].

[N.d.l.r.: ces données ne modifient pas les indications de la prévention thrombo-embolique primaire, mais elles incitent à être attentif à la survenue d’une thrombose veineuse, même après un traumatisme mineur].


Traitement antithrombotique en présence de prothèses valvulaires

Chez les patients porteurs d’une prothèse valvulaire, le choix du traitement antithrombotique dépend du type de prothèse (mécanique ou biologique), de sa position et des facteurs de risque du patient.

  • Chez les patients porteurs d’une prothèse mécanique, un traitement anticoagulant doit être administré indéfiniment. Il est recommandé de viser un INR proche de 2,5 (entre 2,0 et 3,0) en présence d’une prothèse valvulaire aortique faiblement thrombogène et en l’absence d’autres facteurs de risque thrombo-embolique; dans toutes les autres situations, un INR proche de 3,0 (entre 2,5 et 3,5) est recommandé. Il est déconseillé de viser un INR supérieur à 3,5 [n.d.l.r.: cette valeur cible est inférieure à la valeur de 3 à 4 qui est mentionnée dans les Folia de février 2004 ].
  • La plupart des prothèses biologiques nécessitent un traitement anticoagulant de 3 mois (INR de 2,5) suivi d’un traitement à vie par l’acide acétylsalicylique. En présence d’autres facteurs de risque thrombo-embolique, le traitement anticoagulant sera poursuivi indéfiniment (INR de 2,5). Il est prudent de prescrire systématiquement des anticoagulants pendant 3 mois après toute intervention (y compris de reconstruction) au niveau de la valve mitrale étant donné le risque de fibrillation auriculaire postopératoire [ Tijdschr voor Geneeskd 2007; 63: 1151-8].

Traitement et prévention secondaire des accidents vasculaires cérébraux


Traitement

Dans la prise en charge de l’accident vasculaire cérébral, l’administration d’une héparine de bas poids moléculaire (HBPM), à la dose généralement utilisée en prévention des thrombo-embolies veineuses profondes, est recommandée pendant 14 jours en prévention des récidives et des complications thrombo-emboliques veineuses [voir Folia février 2004 ]. Les résultats d’une méta-analyse récente [ Chest 2008; 133: 149-55 ] confirment que l’HBPM est plus efficace que l’héparine non fractionnée en prévention des complications thrombo-emboliques peu après un accident vasculaire cérébral, et qu’elle n’est pas associée à un risque accru d’hémorragie.


Prévention secondaire

En ce qui concerne le traitement anti-agrégant, l’étude ESPS2 et l’étude ESPRIT ont montré que l’association de dipyridamole (à libération prolongée, 400 mg p.j. dans les deux études) et d’acide acétylsalicylique (50 mg p.j. dans l’étude ESPS2, 30 à 325 mg p.j. dans l’étude ESPRIT) était un peu plus efficace que l’acide acétylsalicylique seul en prévention secondaire des accidents vasculaires cérébraux. L’attention était toutefois attirée sur le fait que le faible bénéfice de cette association doit être mis en balance avec le risque d’effets indésirables et le coût du traitement [voir Folia de janvier 2008 ]. En ce qui concerne le clopidogrel, l’étude CAPRIE et l’étude CHARISMA ont montré que le clopidogrel (75 mg p.j.), en monothérapie ou en association à l’acide acétylsalicylique, n’est pas plus efficace que l’acide acétylsalicylique seul (75 à 162 mg dans l’étude CHARISMA, 325 mg p.j. dans l’étude CAPRIE) en prévention secondaire après un accident vasculaire cérébral [voir Folia février 2004 et Folia août 2006 ].

Une étude randomisée contrôlée récente (PRoFESS) a comparé l’association d’acide acétylsalicylique (50 mg p.j.) et de dipyridamole (à libération prolongée, 400 mg p.j.), et le clopidogrel (75 mg p.j.) en prévention secondaire après un accident vasculaire cérébral: aucune différence significative d’efficacité n’a été observée entre les deux groupes. Le risque d’hémorragies majeures était toutefois plus élevé dans le groupe traité par l’association [ N Engl J Med 2008; 359: 1238-51 avec un éditorial : 1287-9 ].

Ces résultats ne permettent pas de conclure quel est le traitement antiagrégant le plus efficace en prévention secondaire des accidents vasculaires cérébraux, mais ils renforcent l’idée que des critères tels que le risque d’effets indésirables et le coût du traitement doivent être pris en compte dans le choix du traitement antiagrégant. Sur base de ces critères, l’acide acétylsalicylique reste donc le traitement de premier choix dans la prévention secondaire des accidents vasculaires cérébraux.


L’acide acétylsalicylique en prévention primaire

Si l’acide acétylsalicylique, à une dose de 75 à 100 mg par jour, est clairement le premier choix en prévention secondaire des affections cardio-vasculaires, sa place en prévention primaire est moins claire. Il est généralement admis que l’administration d’acide acétylsalicylique en prévention primaire peut être envisagée chez les patients de plus de 50 ans ayant un risque élevé d’affections thrombo-emboliques artérielles (tabagisme, hypertension, diabète, hypercholestérolémie, antécédents familiaux d’infarctus du myocarde, certains patients souffrant de fibrillation auriculaire).

L’administration d’acide acétylsalicylique en prévention primaire chez les patients diabétiques fait actuellement l’objet de discussions. Les recommandations reposaient jusqu’à présent surtout sur l’extrapolation de données provenant d’autres groupes à risque. Des données récentes provenant d’études réalisées spécifiquement chez des patients diabétiques de type 2 suggèrent que l’administration de faibles doses d’acide acétylsalicylique en prévention primaire ne diminue pas le risque cardio-vasculaire chez ces patients.

  • Dans l’étude POPADAD (Prevention of Progression of Arterial Disease and Diabetes Study Group), une étude randomisée contrôlée en double aveugle, ayant inclus des patients diabétiques de type 2 présentant une artériopathie périphérique asymptomatique- et sans affection cardio-vasculaire symptomatique- l’administration d’acide acétylsalicylique (100 mg p.j.) et/ou d’antioxydants n’a pas diminué le risque cardio-vasculaire, ni la mortalité après un suivi moyen d’environ 6,5 ans [ Brit Med J 2008; 337: a1840 avec éditorial : a1806 ].
  • Dans l’étude JPAD (Japanese Primary Prevention of Atherosclerosis with Aspirin for Diabetes), une étude randomisée ouverte, ayant inclus des patients diabétiques de type 2 sans antécédents d’affection vasculaire, l’administration d’acide acétylsalicylique (81 ou 100 mg p.j.) n’a pas non plus diminué le risque cardio-vasculaire, ni la mortalité [ JAMA 2008; 300: 2134-41 avec un éditorial : 2180-1 ].

Ces études font cependant l’objet de discussions en raison entre autres de leur faible puissance statistique. Ces études à elles seules ne suffisent pas à modifier la prise en charge en prévention primaire, mais elles incitent à réaliser d’autres études afin de déterminer clairement quels sont les groupes à risque.


Résistance à l’acide acétylsalicylique et morbidité cardio-vasculaire

Dans les Folia de janvier 2008 , une distinction a été faite entre " résistance biochimique " (c.-à-d définie par un test de laboratoire) et " résistance clinique " (c.-à-d. survenue d’une affection cardio- vasculaire malgré un traitement par l’acide acétylsalicylique), et il y est mentionné entre autres que les implications cliniques de la résistance biochimique à l’acide acétylsalicylique ne sont pas claires.

Il ressort des résultats d’une revue systématique et d’une méta-analyse [ Brit Med J 2008; 336: 195-8 ] que les patients présentant une " résistance biochimique " à l’acide acétylsalicylique (quel que soit le test utilisé pour la déterminer) ont un risque cardio-vasculaire quatre fois plus élevé que les patients " sensibles " d’un point de vue biochimique à l’acide acétylsalicylique. Cette étude présente toutefois un certain nombre de problèmes méthodologiques; elle n’apporte par exemple aucune information en ce qui concerne l’existence éventuelle d’une comorbidité pouvant influencer la résistance à l’acide acétylsalicylique. De plus, vu l’absence d’un test de référence pour identifier les patients " résistants " à l’acide acétylsalicylique, le manque de données concernant d’éventuelles alternatives thérapeutiques, et le coût très élevé de ces tests, ceux-ci ne se justifient pas en pratique.

Par ailleurs, des données suggèrent que l’ibuprofène et peut-être d’autres anti-inflammatoires non stéroïdiens (COX-2 sélectifs ou non) peuvent diminuer l’effet cardio-protecteur de l’acide acétylsalicylique. Il s’agit toutefois de données parfois contradictoires, provenant d’études pharmacodynamiques, d’études cas-témoins ou d’analyse de sous-groupes, et qui ne permettent pas de déterminer l’impact clinique de cette interaction pharmacodynamique. En pratique, d’après les recommandations de la FDA aux Etats-Unis, il peut être recommandé aux patients traités par de faibles doses d’acide acétylsalicylique (à libération immédiate) de prendre l’ibuprofène au moins 30 minutes après la prise d’acide acétylsalicylique, ou plus de 8 heures avant la prise d’acide acétylsalicylique. On ne dispose pas de données en ce qui concerne l’utilisation concomitante d’ibuprofène et d’acide acétylsalicylique sous forme de préparation entérique [ www.fda.gov/cder/drug/infopage/ ibuprofen/science_paper.htm ].


Réponse variable au clopidogrel dans les syndromes coronariens aigus

L’administration de clopidogrel, en association à l’acide acétylsalicylique, est recommandée dans la prise en charge des syndromes coronariens aigus ainsi que lors d’une angioplastie coronaire avec mise en place d’un stent [voir Folia de janvier 2008 ]. Deux publications récentes attirent l’attention sur le fait que des variantes génétiques, en particulier au niveau du gène codant pour le CYP2C19, peuvent influencer le métabolisme du clopidogrel et être associées à un risque accru de complications thrombotiques, notamment chez des patients atteints d’un syndrome coronarien aigu [ N Engl J Med 2009; 360: 354-62 et : 363-75 ]. Dans un communiqué récent, la FDA aux Etats- Unis attire l’attention sur le fait que certains médicaments tels que les inhibiteurs de la pompe à protons pourraient également diminuer l’efficacité du clopidogrel, en inhibant l’enzyme responsable du métabolisme du clopidogrel dans sa forme active [ www.fda.gov/cder/drug/early_comm/ clopidogrel_bisulfate.htm ].


Réponse variable aux antagonistes de la vitamine K

L’attention a été attirée dans les Folia de janvier 2008 sur différents facteurs pouvant influencer la réponse aux antagonistes de la vitamine K tels que la prise de certains aliments et/ou de médicaments pouvant interférer avec le métabolisme des antagonistes de la vitamine K [voir tableau au point 1.9.2.5. dans le Répertoire]. A ce sujet, il ressort d’une étude (de petite taille) que l’utilisation prolongée de doses élevées de paracétamol (2 à 4 g par jour) chez des patients sous anticoagulants oraux peut entraîner une augmentation statistiquement significative de l’INR avec un risque accru d’hémorragie. Cette étude ne permet pas de tirer des conclusions en ce qui concerne l’utilisation occasionnelle ou de plus faibles doses de paracétamol [ Pharmacotherapy 2007; 27: 675-83 ]. Une étude récente confirme le rôle possible d’anomalies génétiques dans la variabilité de l’INR lors d’un traitement par des antagonistes de la vitamine K [ N Engl J Med 2008; 358: 999-1008 ].


Antagonistes de la vitamine K en période périopératoire

L’usage des antagonistes de la vitamine K en période périopératoire a déjà été discuté dans les Folia de février 2004 . En cas d’intervention avec un risque élevé d’hémorragie, on y recommande de poursuivre les antagonistes de la vitamine K à moindre dose (INR entre 1,5 et 2,0) chez les patients avec un faible risque thrombo-embolique, et de remplacer temporairement les antagonistes de la vitamine K par de l’héparine chez les patients avec un risque thrombo-embolique élevé (p.ex. en présence d’une prothèse valvulaire mécanique).

Les résultats d’une étude de cohorte indiquent que, chez la plupart des patients avec un risque thrombo-embolique faible à modéré, une interruption de courte durée (≤ 5 jours) du traitement par la warfarine lors d’une intervention mineure (p. ex. coloscopie, intervention dentaire ou ophtalmique), est associée à un faible risque de thrombo-embolie [0,7%; intervalle de confiance à 95% de 0,3 à 1,4%]. Les auteurs concluent que, même pour une intervention mineure en pratique ambulatoire, le risque de complication hémorragique lié à la poursuite du traitement doit toujours être mis en balance avec le risque thrombo-embolique lié à l’interruption de celui-ci [ Arch Intern Med 2008; 168: 63-9 ].


Association d’antithrombotiques

Le traitement antithrombotique occupe une place importante dans le traitement des affections cardio-vasculaires, et l’utilisation des antithrombotiques, seuls ou en association (voir plus haut en ce qui concerne la prévention secondaire des accidents vasculaires cérébraux), a considérablement augmenté ces dix dernières années. L’utilisation concomitante de plusieurs antithrombotiques est cependant associée à un risque accru d’hémorragies. Une étude cas-témoins a analysé le risque d’hémorragie gastro-intestinale sévère associé à l’utilisation d’antithrombotiques, en monothérapie ou en association: le risque d’hémorragie gastro-instestinale existe avec tous les antithrombotiques mais il est le plus élevé avec l’association d’acide acétylsalicylique et de clopidogrel (NNH de 124; c.-à-d. que 124 patients devaient être traités par l’association pendant un an pour voir apparaître un cas supplémentaire d’hémorragie gastro-intestinale sévère). Comme le souligne l’auteur de cet éditorial, la difficulté en pratique reste de mettre en balance les bénéfices escomptés du traitement et l’augmentation du risque d’hémorragie gastro-intestinale. D’autres facteurs tels que des antécédents d’ulcères gastro-intestinaux, l’utilisation d’AINS ou une infection par H. pylori influencent aussi le risque d’hémorragie gastro-intestinale. Différentes mesures telles que l’utilisation d’un inhibiteur de la pompe à protons et/ou l’éradication d’H.pylori, peuvent être proposées pour diminuer le risque d’hémorragie gastro-intestinale chez les patients nécessitant la prise d’acide acétylsalicylique seul ou en association. Dans tous les cas, l’utilisation concomitante de plusieurs antithrombotiques doit être limitée aux indications pour lesquelles les bénéfices ont été clairement démontrés (p.ex. après une angioplastie coronaire avec mise en place d’un stent) et doit être la plus courte possible [ Brit Med J 2006; 333: 726-8 avec un éditorial : 412-3].